loader
menu
© 2024 Eddyburg
Marcelle Padovani
La seconde mort de Pompei
31 Dicembre 2010
Beni culturali
Nella documentatissima e brillante inchiesta della giornalista francese i danni, reali e d’immagine, inferti dal berlusconismo al nostro patrimonio culturale. Su Le Nouvel Observateur, dicembre 2010 (m.p.g.)

La méthode Berlusconi appliquée à la conservation du somptueux site archéologique est une catastrophe.

Marcelle Padovani a mené l'enquête sur cet incroyable gâchis qui désespère les chercheurs et les amoureux de l'histoire antique, effarés par cette ubuesque allégorie de l'Italie contemporaine

0n attendait Silvio Berlusconi, évidemment. A l'aube de ce matin du 6 novembre dernier, la célèbre maison des Gladiateurs s'était écroulée comme un château de cartes. De l'élégant cube de 60 mètres carrés décore de fresques sublimes, où, au temps de la splendeur de Pompéi, les combattants venaient déposer leurs armes, il ne restait que des gravats. Il y a bien longtemps que Berlusconi ne s'était pas rendu à Pompei mais, cette fois, sa visite paraissait s'imposer. Comme le lointain rappel de la visite de Néron au Colisée, en 64 après Jesus-Christ, lorsque Rome s'effondrait dans les flammes ! Face au désastre, comment ne pas trouver logique que le président du Conseil italien manifeste sa solidarité aux archéologues et au monde de la culture en général ? D'autant que, déjà, un scandale couvait : une équipe d'ouvriers chargée du contrôle du site avait prévenu trois jours plus tôt que les pluies pouvaient entraîner l'éboulement du célèbre édifice... et personne n'avait entendu le signal d'alarme. L'incurie était scandaleuse. Mais Silvio Berlusconi, retenu à Rome par une énième crise politique, n'avait pas fait le déplacement. Ce n'était pas la première fois que le président faisait défaut. Au début du mois d'octobre 2009, Berlusconi devait déjà se rendre en visite officielle sur le célèbre site archéologique.

L'atmosphère était électrique, dans les bureaux du commissaire spécial, un manager expédié en toute hâte par le même Berlusconi pour résoudre, en dehors des circuits normaux et d'un coup de baguette magique, tous les problèmes de la ville mythique ensevelie sous les cendres après l'éruption du Vésuve, il y a près de deux mille ans. On attendait le « Cavaliere », ses cheveux gominés, son maquillage outrancier et sa dégaine de politicien bedonnant. On se racontait déjà les commentaires qu'il ne manquerait pas de faire devant la maison des Chastes amants, si chastes qu’ils esquissent à peine un baiser. Et surtout devant le Lupanar. Ah, le Lupanar ! Si quelqu'un avait une bonne blague à raconter, ce serait bien lui, Silvio Berlusconi, grand spécialiste en escort girls, ces dignes descendantes des meretrici, les prostituées romaines. On le voyait bien devant les trois fresques, celle où « la dame et le monsieur font 69 », comme dit un guide, celle où « la dame fait le tire-bouchon » et celle où « elle fait la levrette ». On entendait déjà les rires gras de l'escorte et des fonctionnaires et journalistes de la suite présidentielle... Pour accueillir dignement Berlusconi, le commissaire spécial Marcello Fiori avait d'abord pensé dérouler des tapis rouges au milieu des ruines, mais cela paraissait vraiment trop difficile sur les énormes pavés pompéiens. Il se replia alors sur le ciment, tellement plus facile à étaler et qui éviterait au «Cavaliere » de se fouler la cheville.

Aussi, devant la nécropole de la porte Nocera, lieu majestueux où reposent les riches aristocrates pompéiens, il a eu l'idée de génie de faire couler du ciment. «Nous avons découvert le massacre un beau matin, raconte Maria Rosaria, étudiante en archéologie. Des ouvriers avaient été envoyés par le commissaire Fiori la nuit précédente et avaient tartiné la promenade de ciment, sans aucun contrôle archéologique » Coût de l'opération :60000 euros, plus 9600 pour «l’accueil» du président et 11000 pour un «nettoyage extraordinaire ». Hélas, une fois de plus, Berlusconi n'est pas venu voir la nécropole. Et pas davantage les petites ruelles qui montent droit vers le Vésuve et ont reçu, elles aussi, le même traitement de choc, les pavés millénaires ayant été recouverts d'une couche de ciment gris. Belle illustration de la conception berlusconienne de la conservation du patrimoine, infiniment plus meurtrière que l'usure du temps, les pluies, le vent, les intempéries et les grosses chaleurs de l'été qui érodent les pierres, creusent des tranchées et effacent les fresques... Mais les dégâts du berlusconisme ne s'arrêtent pas là. Si l'on s'approche du Grand Théâtre, un bel amphithéâtre en demi-cercle, qui abritait autrefois les spectacles musicaux de cette ville de 12 000 habitants, on voit tout de suite qu'il a été littéralement défiguré. Les gradins en tuf gris, typique de Pompéi, ont été remplacés par des gradins en tuf jaune des Campi Flegrei, une localité voisine. C'est comme une gifle en plein soleil. Le travail a été fait à la va-vite en mai dernier et a coûté une fortune : 6 millions d'euros sur un budget annuel de 20 millions. Le prétexte de cette rénovation sauvage ? Le 10 juin, une soirée inoubliable devait avoir lieu dans les ruines : le concert de l'Orchestre du Teatro San Carlo sous la direction du maestro Riccardo Muti. Le concert est passé. Le désastre est resté. La hâte du commissaire berlusconien a été dénoncée dans la presse. Marcello Fiori a aussitôt répliqué qu'il «ferait enlever les déplorables gradins jaunes ». Mais, pour les archéologues, « c'est un remède pire que le mal, parce que, pour enlever le tuf jaune, il faudra faire revenir les grues, les pelleteuses et les excavatrices, qui feront une fois de plus trembler ces antiques chefs-d'œuvre ».

Si Pompéi a été relativement épargnée par l'histoire, elle l'est donc moins par le populisme berlusconien. Autant « recouvrir Pompéi de terre, pour biter d'autres interventions humaines, d'autres gâchis... », propose l'écrivain Erri De Luca, prix Femina étranger en 2002 pour son roman « Montedidio », comme si à l'absurde on ne pouvait répondre que par l'absurde... Les commissaires spéciaux (il y en a eu deux en deux ans, en plus des trois surintendants) ont appliqué à la lettre les fondamentaux du populisme made in Italy: tout est dans l'image. On s'en aperçoit dès l'entrée du site. Pour rajeunir Pompéi et lui donner un air à la mode, les commissaires ont inventé le sigle «Pompei viva » (Pompei vivante), qui devait attirer un tourisme d'un genre nouveau vers le site archéologique le plus connu du monde, inscrit en 1997 par l'Unesco au Patrimoine de l'humanité. Ils ont commencé avec la construction de deux galeries en verre qui encadrent l'entrée et qui ne servent à rien. Elles sont là, fermées au public par tous les temps. «Personne n'a compris leur utilité, grincent les archéologues, elles deviendront un jour elles aussi des ruines ». Décidément, à Pompéi, l'imagination est sans limites. On a ainsi inventé le projet «Ave canem » (Bienvenue aux chiens). Il s'agissait de recenser et de stériliser les chiens de Pompéi en les dotant d'une puce électronique et d'une médaille gravée d'un nom ancien, comme Plaute, Polybe ou Ménandre, et en les faisant nourrir par les gardiens.

Résultat : avec l'été, tous les Napolitains qui voulaient se débarrasser de leur bête sont venus l'abandonner dans les ruines. Les meutes, au lieu de diminuer, ont considérablement grossi. On les rencontre près des plus belles domus, occupés à lézarder au soleil ou à faire leurs besoins. «Pompei viva» a créé d'autres ennuis. Avec le lancement de «Pompei bike », 25 bicyclettes qui auraient dû offrir 5 kilomètres de balades dans les mines n'ont pu évidemment circuler sur les énormes pavés pompéiens. Elles ont d'ailleurs complètement disparu. Idem pour «Pompei friendly » : il s'agissait cette fois de faciliter l'accès aux handicapés avec des rampes spéciales devant les domus. Mais elles ont été tellement mal conçues qu'elles sont impraticables : on les voit aujourd'hui barrées d'un cordon rouge. Et les seuls handicapés moteurs que l'on croise dans les runes sont portés à bout de bras par des volontaires de la Croix-Rouge...

Ni surveillant ni camera visibles

Mais ce n'est pas tout. Plus que les infiltrations d'eau, les mosaïques décollées, les domus fermées depuis des décennies, les murs écroulés et les colonnes qui cèdent, ce sont des opérations douteuses comme «Pompei viva» qui peuvent « tuer un patrimoine », estime le recteur de l'université de Pise, Salvatore Settis. La dégradation artificielle infligée à Pompéi est révélatrice de la « philosophie » berlusconienne. Fidèle à lui-même et à son histoire, Silvio Berlusconi a voulu privilégier, même à Pompéi, l'ostentation, la politique des gadgets, les opérations de façade, les kermesses, les concerts exceptionnels, les initiatives promotionnelles, comme si Pompéi était une nouvelle marque à faire connaître aux consommateurs. Déstabilisant avec une totale désinvolture une ville fragile, qui reste une mine pour les chercheurs du monde entier, et privilégiant la communication sur la conservation. Une page de Facebook avait depuis longtemps lancé l'alarme : « Stop killing Pompei ruins» (Arrêtez de tuer les runes de Pompéi). D'autres avaient pris le relais, l'archéologue Oscar De Simone affirmant tranquillement que « le marketing est plus dangereux que le Vésuve ».

Car les vrais problèmes de Pompéi sont d'une tout autre nature. Il suffit pour s'en convaincre d'en parler avec l'excellent surintendant que fut Pietro Guzzo ou avec le directeur général des Antiquités pour les biens et activités culturels Stefano De Caro, écartés l'un après l'autre par le gouvernement Berlusconi, au motif incroyable qu'ils auraient eu une approche « de gauche des problèmes de la restauration... Il y a d'abord la question du personnel : largement insuffisant. Car «c'est une ville de 69 hectares qu'on gère, avec tour les soucis d'une vraie ville, ses rues, ses trottoirs, ses magasins, ses maison d'habitation, ses égouts, son réseau de distribution d'eau, ses jardins, où vivent ou transitent chaque jour 15 000 personnes », souligne Stefano De Caro. C'est d'ailleurs une chose qui frappe tout de suite le visiteur : jamais aucun contrôle, aucun surveillant, aucune camera ne sont visibles. Nous n'avons pour notre part entrevu qu'une seule fois quatre gardiens, et ils jouaient aux cartes assis à l'ombre de deux murs à moitié écroulés au croisement du vicolo della Maschera (ruelle du Masque) et du vicolo degli Scheletri (ruelle des Squelettes). Cette absence de surveillance peut avoir des conséquences désastreuses, notamment en termes de vols.

Car on vole beaucoup à Pompéi. Le 19 janvier dernier, lors d'une opération anti-Camorra, les carabiniers ont découvert des mosaïques, des ustensiles, des monnaies, cachés en bordure de la zone non explorée de Pompéi, qui s'étend sur 22 hectares et qui regorge de trésors ensevelis. Les malandrins les avaient stockés pour les sortir du site pendant la nuit. En juin 2009, les mêmes carabiniers avaient mis au jour une galerie souterraine qui permettait aux voleurs de transporter rapidement hors du site des amphores, des morceaux de chapiteau, des mortiers, des cornes de cerf, des monnaies et une meule en pierre lavique. En juillet 2001, ils avaient déjà arrêté 29 personnes surprises en train de s'exercer au détecteur de métal pour localiser les œuvres d'art enterrées sous les terre-pleins. Pour convaincre le gouvernement de la nécessité d'augmenter les contrôles et pour dénoncer son désintérêt pour le patrimoine, un journaliste du quotidien napolitain « Il Mattino » a fait une expérience : il a dérobé le 10 novembre à 10 h 27 à la fontana del Vigneto del Triclinio Estivo un fragment de mosaïque qu'il a replacé à 13 heures dans son alvéole. Un jeu d'enfant, a-t-il raconté. Personne ne s'est aperçu de rien. La protection de ce véritable musée à ciel ouvert exigerait donc des investissements. Chose impensable sous Berlusconi, qui a réduit de 0,85% à 0,21% du budget national les sommes consacrées à la culture. «Pour un site si étendu, les ressources sont bien faibles », dit De Caro. Car Pompéi, qui rapporte 20 millions d'euros par an rien qu'en billets d'entrée, se voit amputer de 30% de son budget par le ministère des Biens culturels, qui redistribue la somme à sa guise. Mais, surtout, il faudrait convaincre le même ministère qu'il est aberrant de séparer la gestion de la restauration. « On crée ainsi une dichotomie insurmontable entre celui qui a l'argent et celui qui veut le dépenser. On empêche en fait l'archéologue de trancher en dernière analyse face au comptable », souligne le surintendant Pietro Guzzo.

Mais, par-delà les grands choix stratégiques et les histoires de gros sous évoqués par les anciens responsables de Pompéi, il y aurait aussi une série de solutions à visage humain pour redonner des couleurs au site. Il suffit de parler avec les gens qui y travaillent, et qui vous font voir un trésor exceptionnel, dont les touristes n'ont pas idée : les vignobles cachés au beau milieu des ruines. Incroyable mais vrai : depuis 1996, chaque année au mois d'octobre, on vendange à Pompéi. Cette année-là, Pietro Guzzo avait signé à titre expérimental un accord avec le vignoble napolitain Mastroberardino. Pour exploiter un minuscule arpent, 200 mètres carrés au croisement de la via di Nocera et de la via di Castricio. Il s'agissait de replanter des cépages d'origine, tels le Greco, l'Aglianico et le Falanghina, les deux premiers ayant été importés autrefois de Grèce, comme le soulignait l'historien Pline le Jeune — chroniqueur de l'éruption du Vésuve — dans sa «Naturalis Historia ». Aujourd'hui, ces vignobles couvrent pratiquement 2 hectares et pourraient être encore étendus, permettant à la ville ensevelie de revivre grâce au vin. Car Mastroberardino a gagné de l'argent avec son vin de Pompéi, baptisé « Villa dei Misteri » (Villa des Mystères), en organisant par exemple en 2009 une vente de charité de 1781 bouteilles rares, à 30 euros la pièce. Pourquoi ne pas étendre l'expérience à d'autres spécialités régionales, comme les oliviers, qui pourraient produire de l'« huile de Pompéi », selon les recettes d'il y a deux mille ans ? Bien sir, ni l'huile ni le vin n'empêcheront les murs de Pompéi de s'écrouler. Mais ils pourraient donner un coup de pouce au budget. « Par où commencer si ce n'est par la vigne? écrivait déjà Pline le Jeune. Cette vigne où l'Italie a une suprématie incontestable et qui lui permet de dépasser en richesse même les pays qui produisent du parfum... D'ailleurs, il n'est pas au monde de délice supérieur à celui du parfum des vignes en fleur... » Pompéi sauvée par le vin ? Même au pays du «Cavaliere», il n'est pas interdit de rêver...

ARTICOLI CORRELATI

© 2024 Eddyburg